Justice et santé pour l'école d'après

Depuis des années, la maitrise budgétaire que s’est imposée la France a conduit les gouvernements successifs à réduire les dépenses en matière d’éducation, conduisant notre ministère vers l'injustice et la fraude institutionnelle...

DES COUPES BIEN SOMBRES...

 

Faute de courage politique pour assumer la maitrise budgétaire, la réduction du budget de l'Education nationale s’est opérée de façon sournoise au fil des ans, les différents ministres rivalisant d’imagination pour tenir leurs comptes malgré la progression démographique continue. C’est ce manque d’honnêteté (négliger l’enseignement n’étant pas médiatiquement vendeur) qui est à l’origine d’un mouvement d’ensemble de désorganisation de l’école : contractualisation des enseignants, augmentation des obligations de service, réduction des volumes horaires d’enseignement, augmentation du nombre d’élèves par classe, mutualisation des administrations, regroupements et fusions d’établissements, etc. A chaque fois, des coupes sombres qui ne disent pas leur nom où l’on prétend faire mieux avec autant, quand en vérité on n’arrive plus à faire aussi bien, surtout avec beaucoup moins.

 

Avec ce recul, on peut alors expliquer le sentiment général d’injustice qui a émergé et s’est renforcé dans la classe enseignante depuis 2010 et le gel du point d’indice. Certes, il ne faut pas négliger le poids premier de l’injustice salariale : toutes les études comparatives le montrent, et le ministre actuel lui-même a dû le reconnaitre, les agents de l’Education nationale en France sont en dessous de la moyenne salariale constatée dans l’OCDE.

 

Mais à ce sentiment de fond s’ajoute désormais celui de « se faire avoir » en permanence par des réformes et des modifications fonctionnelles hypocrites et inutilement complexes, dont notre ministère et ses rectorats sont devenus les spécialistes.

 

En dix ans, les irrégularités administratives de traitement se sont multipliées : apparition de plateformes en ligne complexes pour dissuader les collègues d’obtenir l’indemnisation de leurs frais de déplacement ou la prise en charge de leur repas, « erreurs » et « oublis » dans le traitement des indemnités des titulaires remplaçants ou des contractuels, retards de paiement dans les salaires, retards de plus en plus grands dans le paiement des heures supplémentaires, travail non rémunéré ou sans contrat pour les AESH, modification profonde des règles d’avancement suite à la mise en place du PPCR (délibérément complexe afin de masquer la perte d’ensemble du pouvoir d’achat engendrée par le dispositif), arnaque à la classe exceptionnelle où le jeu des viviers permet chaque année à l’administration d’économiser sur le nombre des promouvables, etc.

 

À toutes ces filouteries s’ajoute depuis cette année l’opacité autour des actes de gestion de carrière tels que les mutations et les promotions, désormais privées de commissions paritaires préalables, laissant ainsi aux rectorats le loisir de bricoler ce qu’ils veulent sur le dos du barème et de l’équité de traitement des candidatures.

Toutes ces injustices mises bout à bout peuvent expliquer en grande partie le malaise enseignant et la défiance solidement ancrée maintenant parmi nos professions face à notre employeur devenu voyou. En 2019, la création d’un « CDD du pauvre » exclusivement réservé à la fonction publique et niant tout acquis social, ou encore la fraude et les mensonges d’Etat autour de la session du BAC trafiquée à seule fin de satisfaire l’opinion publique dans le cadre de la réforme du lycée, ont fini de nous ôter nos dernières illusions sur la moralité ministérielle… 

 

La tentative d’escroquerie nationale menée ensuite par le gouvernement avec le projet de réforme des retraites (dont les enseignants étaient d’ailleurs encore une fois les grands perdants, comme le Président lui-même a dû l’admettre) n’a bien sûr rien arrangé.

Ainsi, lorsque la crise du COVID-19 frappe de plein fouet l’Education nationale en mars dernier, elle arrive sur un terrain déjà particulièrement miné.

 

MARS-JUILLET 2020 : CE QUE LA CRISE A RÉVÉLÉ  

 

Mais ce que l’épisode COVID nous a également appris va au-delà : en même temps que cette désorganisation de notre institution, s’est amorcée une autre évolution qu’on pourrait qualifier d’autonomisation structurelle.

La décentralisation, le renforcement des prérogatives des recteurs, le renforcement du pouvoir des chefs d’établissement, les réformes expérimentales permettant l’individualisation des rémunérations (grâce aux fameuses IMP par exemple), la nouvelle logique des rendez-vous de carrière témoignent tous ensemble d’une nouvelle vision de l’école, du collège ou du lycée, désormais perçus comme de petites entreprises autonomes et concurrentes entre elles. Un processus beaucoup plus avancé qu’on ne le pensait, sans doute, si l’on en juge à l’incapacité d’agir qui a frappé toute l’Education nationale lors du confinement de mars et du déconfinement de mai 2020. La cacophonie ministérielle qui s’est immédiatement défaussée sur l’échelon local a montré à quel point justement, les structures et leurs directions étaient désormais hors de contrôle, pataugeant dans le pire chaos et sans ressource pour faire face à une crise d’ampleur nationale, perdus comme des poulets sans tête.

 

Ce fut le grand n’importe quoi, et l’occasion d’un nouveau sentiment d’injustice pour les enseignants, se voyant imposer des protocoles intenables et des consignes différentes d’un établissement à l’autre, rarement soutenus, souvent livrés à eux-mêmes, et même parfois harcelés ou menacés.

Et le ministère d’en rajouter une couche ensuite en jouant le chaud et le froid, promettant aux uns des badges virtuels de mérite, et aux autres des poursuites disciplinaires pour désertion…

 

COMMENT BÂTIR L’ÉCOLE D’APRÈS ? 

 

Il parait alors évident qu’aucune réforme d’ampleur ne pourra plus être envisagée pour l’Education nationale avant que la sérénité et la confiance aient été rétablies entre les fonctionnaires et leur administration.

Et la concorde ne saura être retrouvée sans une nécessaire et juste revalorisation salariale. Cette revalorisation devra en outre se faire unilatéralement et sans contrepartie, au risque d’apparaitre comme une nouvelle escroquerie.

La revalorisation de l’ISO (telle que son doublement) est une option équitable que le SNCL défend et qui aura le double mérite de bénéficier surtout au pouvoir d’achat des jeunes collègues entrant dans la carrière, tout en participant à la revalorisation de la retraite de tous (même en cas de système par points réenvisagé).

Mais cette mesure de justice ne pourra à elle seule réparer les dommages causés. Elle devra faire partie d’un plan d’ensemble de reconnaissance et de réhabilitation de la fonction publique, au même titre que ce qui est souhaitable pour la fonction hospitalière ou territoriale. Elle devra aussi passer par des mesures symboliques fortes capables de ramener la paix, comme l’abandon des poursuites disciplinaires contre les collègues s’étant opposés à la falsification des résultats du BAC par exemple, ou l’abandon des sanctions prononcées contre des agents pendant la période télétravaillée.

 

Il faudra aussi rétablir ce qui a été perdu, comme les heures d’enseignement au lycée ou le paritarisme syndical, sans lequel la loi de transformation de la fonction publique actuelle nous ramène près de 40 ans en arrière, avant 1983.

 

L’ÉCOLE D’APRÈS SERA AUSSI L’ÉCOLE DE LA SANTÉ 

 

C’est une autre leçon que nous devons impérativement tirer de la crise sanitaire que nous traversons, pour l’avenir. Il ne peut y avoir d’instruction publique déconnectée de la santé publique. Il appartient à l’école d’être un modèle et une ressource pour les citoyens en matière de respect du corps, de l’hygiène et de la santé au travail.

 

La sensibilisation des enfants, qui doit être renforcée, restera vaine sans une mise à niveau conséquente des infrastructures sanitaires sur l’ensemble du territoire. Trop d’économies ont été faites durant des années à ce niveau, il est grand temps de combler le retard pris. Une école doit pouvoir faire face à une crise épidémique sans se retrouver bloquée faute de savon ou de lavabos suffisants.

 

Les personnels quant à eux, doivent être préventivement formés et protégés eux-mêmes grâce à une médecine du travail suffisante et présente. Travailler dans de bonnes conditions et bien accompagné, cela signifie aussi pouvoir disposer d’aménagements de fins de carrière et d’une reconnaissance des facteurs de risques spécifiques à la profession. L’Etat doit s’imposer, pour le bien de ses fonctionnaires, des règles au moins égales à celles qui s’appliquent dans le secteur privé : les visites médicales, l’aménagement des espaces de travail (du point de vue des dimensions, du bruit, de la qualité de l’air et de la luminosité par exemple) doivent être des priorités.

 

Enfin, d’autres sujets plus tabous doivent aussi être traités : les risques psycho-sociaux, les addictions médicamenteuses ou alcooliques et le danger du suicide sont de tristes réalités de notre métier qu’on ne peut plus laisser sans réponse. 

 

On le voit, penser l’école d’après n’est finalement pas si éloigné des problématiques qui concernent notre société en général, poussée à bout de souffle par les logiques de profit et d’optimisation infinies, dans un contexte environnemental très sombre pour les années à venir.

 

Mieux enseigner, demain, ce sera peut-être aussi apprendre à le faire plus lentement, plus posément, avec davantage de recul et de souci des individus, dans une logique décroissante salutaire pour le bien-être des enseignants comme des élèves.